Depuis l'antiquité, les pêcheurs ont remarqué le comportement d’agrégation des poissons avec les objets flottant à la surface de l’océan et ont utilisé cette connaissance comme un indicateur de présence de bancs de poissons, de plus grande taille et plus faciles à capturer (Fréon and Dagorn, 2000; Dempster and Taquet, 2004; Dagorn et al., 2013). La pêche sur DCP était ainsi déjà pratiquée par les romains au début de notre ère comme le rapporte un poète romain du 2e siècle qui indique également que les pêcheurs en confectionnaient déjà à cette époque. Si les raisons du comportement d’agrégation des poissons avec les objets flottants restent encore mal connues, on suppose qu’ils serviraient à la fois d’indicateurs de forte disponibilité alimentaire (Hall, 1992) ainsi que de points de rencontre pour former des bancs de taille optimale (Fréon and Dagorn, 2000; Castro et al., 2002).
Lorsque la pêche thonière tropicale à la senne débute dans les années 1960 dans l’Océan Atlantique et 1980 dans l’Océan Indien, les senneurs utilisent les objets flottants apportés par les fleuves et les courants (branches, troncs d’arbres ou encore débris d’activités humaines). Avec cette méthode, les bancs de thons listao, albacore et patudo deviennent plus faciles à trouver. Ils sont aussi moins mobiles et plus stables, ce qui les rend plus facilement capturables par les senneurs (le risque que le banc s’échappe lorsque le filet est déployé en mer diminue de 50% à 10%).
On assiste alors dans les années 1990 à l’essor de la pêche sous Dispositifs de Concentration de Poissons (DCP), des objets artificiels spécifiquement mis à l’eau pour agréger les thons tropicaux. Ces DCP, généralement constitués d’un radeau en surface et d’une traine en profondeur, sont déployés en très grand nombre au cours des décennies suivantes. Leurs impacts sur les thons tropicaux, sur les autres espèces présentes sous les DCP comme sur les écosystèmes deviennent alors une source d’inquiétude.
Dans les années 2000, l'instrumentalisation des DCP et les progrès techniques (balises GPS puis munis d'écho-sondeurs communiquant au bord la présence/absence de poisson) permettent aux DCP de gagner en efficacité et amènent les capitaines à augmenter leur effort de pêche sous objets et à augmenter le déploiement de DCP et de balises. Pour gérer ce plus grand nombre de DCP, les armements ont également associer aux senneurs des navires d'assistance chargés de déployer et visiter les DCP. Certains navires européens ont ainsi évolué vers une pêche à 90% sous objets.
Classification des objets ?
Les objets qui semblent attirer les thons peuvent être des objets naturel ou artificiels trouvés ou mis à l'eau par un pêcheur. Les objets flottants dérivants peuvent être désignés sous le terme d'épaves ou log en anglais tandis que le terme de DCP (pour Dispositif de Concentration de Poisson, FAD en anglais) est réservé aux seuls objets construits par les pêcheurs et mis à l'eau intentionnellement pour faciliter la pêche. Ils peuvent être dérivants ou ancrés. le projet CECOFAD financé par l'Union européenne propose une classification ainsi qu'une codification de ces objets.
[p=paragavantliste]On distingue les types d'objets suivants :
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les objets naturels à la dérive,
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Objet naturel d'origine végétale (VNLOG)
Objet naturel d'origine animale (ANLOG)
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[cellcm][img=pages/tools/notes/dcp/dcp1.jpg width=80%] souches, branchages, ...
[cellcm][img=pages/tools/notes/dcp/dcp2.jpg width=80%] tas de paille
[cellcm][img=pages/tools/notes/dcp/dcp3.jpg width=80%] cadavres d'animaux
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les objets ou débris d'origine humaine à la dérive, ou
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Objet artificiel issu de la pêche (FALOG)
Objet artificiel issu d'autres activités humaines (HALOG)
les radeaux et autres dispositifs construits par les pêcheurs et mis à l'eau (voir ancrés) pour faciliter la pêche
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DCP dérivant (DFAD)
DCP ancrés (AFAD)
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[cellcm][img=pages/tools/notes/dcp/dcp7.jpg width=80%] radeaux (modèle européen)
[cellcm][img=pages/tools/notes/dcp/dcp8.jpg width=80%] radeaux de bambous
[cellcm][img=pages/tools/notes/dcp/dcp9.jpg width=80%] lignes de flotteurs ancrées
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Un objet flottant ne concentre pas systématiquement ni immédiatement le poisson. Par conséquent, pour être utile au pêcheur, cet objet doit pouvoir être retrouvé facilement. Pour se faire, les pêcheurs attachent à ses objets (et particulièrement à leurs DCP ou aux DCP qu'ils trouvent), une balise permettant sa relocalisation. On peut considérer que leur mise à l'eau et leur distribution répond à un objectif du pêcheur d'amélioration de son efficacité. Ce n'est pas un engin de pêche mais un outil contribuant à l'efficacité du navire.
Avantages et inconvénients de la pêche sous objets pour les thoniers senneurs
Parce qu'un objet tend à concentrer et à fixer les thons et parce qu'il est facilement localisable lorsqu'il est associé à une balise, il est plus facile de pêcher sous objet. Le banc libre, à l'inverse, est souvent plus difficile à repérer de loin (détection des bancs) et à encercler. Par conséquent, alors qu'un coup de senne sous objet est presque toujours couronné de succès, à peu près une fois sur deux le coup de senne sur banc libre est infructueux car, au moment où la senne est refermée, le poisson s'est échappé (on parle de « coup nul »).
L'augmentation de l'efficacité de la pêche sous DCP a également modifié l'effort de pêche des senneurs et rendus complexe l'évaluation de leur captures par unité d'effort qui est un paramètre important pour évaluer l'impact de la pêche sur la ressource. .
Toutefois, on constate que les thons qui se concentrent sous les DCP sont le plus souvent des petits thons (listao, thons mineurs et juvéniles d'albacore et de patudo). A l'inverse, les gros individus forment le plus souvent des bancs libres monospécifiques. Le choix de pêcher sous DCP dépend donc de l'espèce recherchée. Les senneurs français ciblant à la fois les albacores et le listaos, un équilibre est donc recherché entre les deux modes de pêche.
Enfin, les captures accessoires et les captures accidentelles sous objet ou sur banc libre ne concernent pas vraiment les mêmes espèces, ni les mêmes quantités, même si celles-ci ne composent qu'une petite partie (quelques pourcents) des captures.
On peut résumer les caractéristiques des deux modes de pêche par le tableau suivant :
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Paramètre
Sur banc libre
Sous DCP
Détection
recherche des indices en surface
localisation facilitée par la balise
Probabilité de pêcher chaque jour
entre 50 et 70%
proche de 100% (d'autant plus que le navire dispose de DCP)
Probabilité de succés du coup de senne
proche de 50%
proche de 100%
//
Consommation de gasoil / empreinte carbone
//
plus importante du fait de la recherche
//
moins importante
//
Espèce ciblée
albacore et patudo, parfois le gros listao
listao, bancs mixtes
Taille des thons
poissons adultes (>10 kg pour l'albacore et le patudo, >1,8kg pour le listao)
listaos de toute taille, albacores et patudos juvéniles
Captures accessoires
très faibles (1 à 3%)
moins faibles (3 à 7%), principalement de petits thons
Captures accidentelles
rares
très faibles (requins)
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L'encadrement de la pêche sous DCP par Orthongel
Dès la fin des années 90, la flottille française a cherché à contrôler le développement de la pêche sous objets. En novembre 1997, les flottilles française et espagnole ont volontairement mis en place en Atlantique un moratoire de 3 mois de la pêche sous DCP (avec observateurs embarqués), repris plusieurs années de suite par l'ICCAT. Dans l'Océan Indien, une démarche du même type a été décidée en 2010. Enfin, les armements français ont toujours cherché à éviter un report massif de l'activité des navires sur la pêche sous DCP en incitant les équipages à rechercher le gros poisson (par exemple en basant le salaire des marins sur le chiffre d'affaires de la marée plutôt que sur le tonnage pêché et en excluant du salaire le poisson de moins de 1,5kg) et en limitant le nombre de balises fournies à chaque navire. Depuis janvier 2012, le nombre de balises actives de chaque navire est désormais limité ainsi que le nombre de balise achetées chaque année par les armements (en remplacement des balises perdues ou volées).
Les démarches d'Orthongel pour réduire les effets négatifs des DCP
Outre la limitation du nombre de balises fournies à chaque navire précédemment mentionnée, Orthongel a également mis en oeuvre en 2010 un programme de remplacement des DCP dits classiques par des DCP non maillants qui n'entraînent donc pas de mortalité supplémentaire pour les tortues et les requins (voir la page de notre site sur ce programme) et depuis 2015, plusieurs expérimentations de DCP biodégradables ont été menées (CAT « Sélectivité » et programme « BIOFAD »).
Depuis 2010, Orthongel ne cesse de multiplier les démarches pour mieux encadrer l'utilisation des DCP, persuadé que seule une utilisation raisonnée de DCP écologiques peut être durable. Ces démarches ont commencé avec la mise en place du programme « DCP éco » et la fourniture de données sur les DCP aux scientifiques. Elles se sont prolongées par le lobbying auprès de la DPMA et de la DG MARE et la promotion de mesures d'encadrement des DCP au sein des ORGP.
Time-line des actions pour limiter le nombre de DCPInfographie sur la propagation des initiatives d'Orthongel[img=pages/tools/notes/dcp/promotion.png width=95%]
[p=note]Note réalisée avec la collaboration de l'IRD.
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